Griffonnages

Blog de Michel Brouyaux

Dans les cellules du royaume…

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J’ai donc eu l’honneur, jeudi dernier, comme ma cousine écolo A.B., de faire partie des 240 personnes sélectionnées pour passer quelques heures en cellule. Comme tout un chacun a pu l’apprendre depuis, nous étions quelques centaines à manifester pacifiquement notre opposition au projet de traité transatlantique. Le maïeur Mayeur (je ne vois pas pourquoi vous riez : à Bruxelles, le maïeur s’appelle Yvan Mayeur. Il paraît qu’il aurait préféré s’appeler Prévot, mais c’était déjà pris), le maïeur Mayeur, donc, avait déployé les grands moyens : hélicoptère, chiens policiers, autopompe, brigade anti-émeute et tout le toutim. Tout ça parce que la manifestation se déroulait à quelques centaines de mètres (évidemment infranchissables) du palais d’Egmont, où quelques huiles européennes sabraient le champagne avec les meilleurs lobbyistes des multinationales.

On n’arrête pas tous les jours 240 manifestants. Le maïeur Mayeur, un peu gêné, va d’ailleurs « procéder à une évaluation interne » ; ce qui nous fait une belle jambe, question libertés fondamentales .

Mais pourquoi un tel déploiement de force ? Etait-il si important de (tenter de) casser un mouvement citoyen en plein développement ?

Il semblerait que oui.

Et voici pourquoi.

 

Traité transatlantique : c’est quoi, ça ?

 

Le projet de « partenariat transatlantique » était, jusque il y a peu, négocié dans la plus grande discrétion. Le mandat de négociation de l’Union européenne – à la différence des innombrables textes concoctés par l’U.E ., d’habitude traduit dans une vingtaine de langues – n’existe qu’en Anglais ; et il est très difficile de se le procurer. Pour brouiller les pistes, il porte même plusieurs noms : TTIP, TAFTA, GMT, etc. Chez nous, en Belgique, ce projet est porté notamment par Karel De Gucht, fils naturel de Ronald Reagan et de Margaret Tatcher, comme le dit très bien Raoul Marc Jennar.

Il s’agit, en fait, d’une nouvelle mouture du défunt projet « A.M.I. », rejeté massivement grâce à une forte mobilisation populaire dès les années ’90. L’idée est de créer un vaste marché ultra-libéralisé entre les Etats-unis et l’Europe en supprimant les « barrières non-tarifaires ». Les barrières tarifaires – horreur protectionniste, paraît-il -, ce sont les droits de douane, déjà très réduits. Les barrières non-tarifaires, ce sont les règles sanitaires, sociales et environnementales, considérées comme autant d’obstacles à la concurrence libre et non faussée chère aux mondialisateurs néo-libéraux. Exemple : la législation européenne interdit, jusqu’à présent, qu’on nous vende comme aux Etats-unis des poulets lavés à l’eau de javel ; ou du boeuf aux hormones ; ou des salades OGM. A LA TRAPPE ! Autre exemple : ici, un médicament ne peut être mis en vente qu’après que le fabricant ait prouvé sa non-nocivité ; aux Etats-unis, c’est le contraire : un médicament est mis sur le marché, et c’est aux (associations de) consommateurs de prouver son éventuelle nocivité. A LA TRAPPE ! Une loi nationale prévoit-elle un salaire minimum : si une multinationale considère que cette loi lui porte préjudice : A LA TRAPPE ! (l’Union européenne vient d’ailleurs d’imposer à l’Egypte le retrait d’une loi de ce genre).

Il va sans dire que les services publics sont aussi dans le collimateur : la santé, l’enseignement, TOUT doit être dérégulé et ouvert à la concurrence.

(en matière de santé, lire l’excellent article du journal des Mutualités chrétiennes –En marche du 1er mai 2014 – qui carbonise le projet)

 

La fin de la souveraineté des peuples ?

 

Un second volet de ce projet de traité est tout aussi inquiétant : les firmes transnationales pourraient contester les normes sociales, alimentaires, sanitaires, culturelles qu’elles considéreraient comme des obstacles à leurs profits en attaquant les états ,

devant des tribunaux privés : ces ORD (organes de règlement des différends) prennent des sentences non susceptibles d’appel !

Pour Raoul-Marc Jennar, « il n’est pas excessif d’affirmer que son adoption (du traité) marquerait la fin d’un cycle historique: celui qui a commencé en 1789 avec l’affirmation que « tous les pouvoirs émanent du peuple » qui serait remplacé par « tous les pouvoirs émanent des firmes privées ». Ainsi serait réalisé l’objectif patronal tel qu’il fut formulé par David Rockefeller : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. » »

Gaël Giraud (jésuite, chercheur au CNRS, membre de l’Ecole d’économie de Paris, etc.) est du même avis, qui disait, dans Le Soir du 5 mai : si ce traité est adopté, aller voter ne servira plus à grand chose.

On n’est pas dans le domaine du fantasme. Pour les distraits, rappelons, parmi cent exemples possibles, que Monsanto a déjà réussi à interdire aux agriculteurs d’utiliser leurs propres semences, en les obligeant à acheter celles… de Monsanto !

 

Enfumage, suite.

 

Bien entendu, le projet prétend développer l’emploi : sans rire, il est question de lapossibilité de la création de 500.000 emplois d’ici…2027, (pour mémoire, l’Union européenne compte 20 millions de  demandeurs d’emploi). Sauf qu’on ne parle pas des emplois qui seraient supprimés par le Traité. Par exemple dans l’agriculture. Et sauf qu’il est très instructif de se pencher sur les résultats de l’ALENA (traité de libre-échange entre Etats-unis, Canada et Mexique, dont le projet s’inspire largement), qui promettait la création de 2 millions d’emplois et qui en a, en réalité, supprimé 900.000. C’est ce même ALENA qui a vu le Canada attaqué 30 fois par des firmes privées ; le Canada a perdu 30 fois. Actuellement, 9 firmes lui réclament au total 2,5 milliards de dollars. Et l’Ontario a du supprimer un décret fiscal « pollueur-payeur ».

 

Comment se tirer une balle dans le pied ?

 

Les différents sponsors du projet de traité, avec l’aide du maïeur Mayeur, ont voulu, manifestement, étouffer dans l’oeuf un mouvement  d’opposition qui devrait prendre de l’ampleur. Avec l’impact médiatique de l’arrestation de 240 citoyens pacifiques, ils se sont peut-être tiré une balle dans le pied. Ce sera le cas si chacun décide de s’informer et de se mobiliser contre ce qu’il faut bien appeler l’une des plus grandes offensives contre la souveraineté populaire depuis la Deuxième Guerre mondiale.

En cette période d’élections, pourquoi ne pas commencer par en parler à votre député ?

Je vous invite également à contacter l’Alliance 19-20, qui coordonne en Belgique l’opposition au projet. On peut notamment, sur leur site www.d19-20.be, signer une pétition en ligne.

 

P.S. : pour aller plus loin, voir sur le net la remarquable conférence de Raoul Marc Jennar, l’auteur du fameux Menaces sur la civilisation du vin. Taper « Raoul Marc Jennar TAFTA ».


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One Comment

  1. Royaux dit :

    À nouveau dans l’action militante!

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