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Blog de Michel Brouyaux

L’échec humanitaire, le cas haïtien. Frédéric Thomas

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Le lien est vite fait entre les romans de Lyonel Trouillot et « L’échec humanitaire », publié par Frédéric Thomas chez cet excellent éditeur belge, Couleur livres.

Le 12 janvier 2010, Haïti était ravagé par un tremblement de terre qui faisait plus de 200.000 morts et un million et demi de sans-abris. Tout-de-suite, les organisations humanitaires s’étaient mobilisées. Trois ans plus tard, Frédéric Thomas s’attelle au bilan de leur action.

Voici quelques années (en 2008), l’excellent livre de Christophe Charbon, Souvenir d’un tsunami humanitaire, aux éditions L’Harmattan, envisageait ce bilan à partir de son expérience d’humanitaire vécue en Thaïlande lors du tsunami. Sa réflexion sur la gestion généralement calamiteuse des catastrophes l’amenait à juger l’action des très (trop?) nombreuses organisations humanitaires dispendieuse, déstructurante pour les pouvoirs locaux et « la plus chaotique de tous les temps ».

Frédéric Thomas partage cette analyse sur le gaspillage, et aussi sur la confusion entre efficacité et visibilité (chaque organisation s’efforçant d’être au bon endroit au bon moment, pour passer au JT, etc)

Il y a ensuite la hiérarchie : au-dessus, l’aidant (généreux) ; en bas, l’assisté, dont la seule fonction sera de dire merci (et de sourire à la caméra).

Enfin, plus radicalement, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, les ONG humanitaires et la mondialisation néolibérale sont les deux faces de la même médaille, parce qu’elles partagent la même vision du monde. La chute du Mur de Berlin signant la fin des utopies révolutionnaires, la fin de l’Histoire, ne reste plus que le triomphe du capitalisme néolibéral. Mais celui-ci produit des dégâts collatéraux : aux ONG d’y remédier. Au fond, l’ONG se replie sur l’action morale d’urgence (« sauver des vies »), en opposition à l’action politique, qui ne mènerait à rien. En quelque sorte, une utopie de remplacement. D’où une division du travail : aux uns, la gestion de l’économie, aux autres, la charité. (un peu comme les dames patronnesses, à l’époque,,,) Comme les multinationales, les ONG vont donc se substituer à l’état (considéré souvent comme incapable) et vont ainsi l’affaiblir. Ce qui ne peut que maintenir les conditions sociales qui ont mené à la catastrophe. Car, reprenant la thèse d’Hervé Kempf, Thomas nous dit qu’il n’y a pas de catastrophe naturelle. Pourquoi un tremblement de terre fait-il autant de victimes ici et beaucoup moins ailleurs : urbanisme, accès à l’eau, organisation des secours, pauvreté, etc, sont des causes qui amplifieront, ou pas, le cataclysme « naturel ».

Plus grave encore : l’Occident, d’où viennent les humanitaires, porte une part de responsabilité dans cette situation sociale. Pour illustrer son propos, Thomas brosse brièvement l’histoire d’Haïti, en commençant par cette observation : Notre modernité est née de trois révolutions – américaine, française et haïtienne – dont la dernière a été systématiquement effacée des mémoires, occultée dans les manuels scolaires. Et pour cause : elle faisait, elle fait toujours scandale. Le formidable soulèvement d’esclaves noirs exigeant et affirmant la liberté et l’égalité constitua une onde de choc qui atteignit l’Europe, bouscula les préjugés.

L’indépendance a été conquise de haute lutte par les Haïtiens. Elle sera cependant dès l’origine minée par des contradictions internes (la classe dirigeante voulant en confisquer les avantages) et externes (l’ »indemnisation » de 150 millions de francs-or que la France imposera à son ancienne colonie et dont celle-ci paiera les intérêts jusqu’en … 1952 ! Ou les ingérences franco-américaines qui aboutiront toujours à maintenir au pouvoir, parfois sous forme de dictature, une oligarchie vendue à l’étranger).

Jusqu’en 1980, le pays est cependant encore autosuffisant en nourriture. Trois décennies de néolibéralisme finiront de le ruiner, à la veille du séisme.

Ces quelques lignes résument évidemment trop brièvement l’analyse de l’auteur, qu’il convient de lire attentivement. Mais il est clair que quand on nous parle, en 2010, de « Haïti année zéro », comme s’il s’agissait d’un malheureux pays sans histoire, on nous raconte des bobards.

Concluons .

Lyonel Trouillot parle, ailleurs, de ces humanitaires qui viennent de l’un de ces peuples qui règnent sur le terre et qui prolongent le pire en voulant le meilleur.

Frédéric Thomas jette-t-il le bébé avec l’eau du bain ? Absolument pas. Il est bien conscient de ce que beaucoup d’humanitaires, voire la plupart, sont animés des meilleures intentions. Partisan d’une véritable solidarité internationale, il suggère simplement de repenser les fondamentaux de la démarche humanitaire et donne, pour ce faire, quelques pistes.

Ses thèses peuvent, bien sûr, être discutées. Il n’empêche qu’on a rarement trouvé autant d’idées dans un livre de 70 pages , et que sa lecture me semble indispensable , notamment à ceux/celles qui souhaitent s’engager dans l’humanitaire.

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L’échec humanitaire – le cas haïtien. Frédéric Thomas. Couleur livres.

 

A voir aussi : le film Assistance mortelle, de Raoul Peck, Merci à Christophe Charbon de me l’avoir renseigné.


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