Griffonnages

Blog de Michel Brouyaux

Parabolle du failli. Lyonel Trouillot.

parabole_du_failliJ’ai déjà exprimé ailleurs d’admiration que j ‘éprouve devant les quatrièmes de couverture d’Actes sud, qui me laissent souvent comme un potache devant la page blanche. Celle du dernier roman de Lyonel Trouillot n’échappe pas à la règle. Qu’on en juge :

Alors qu’il semble enfin devoir connaître le succès, Pedro, un jeune comédien haïtien en tournée à l’étranger, se jette du douzième étage d’un immeuble. Dans son pays natal, l’un des deux amis avec qui il partageait au hasard des nuits un modeste appartement aux allures de bateau-ivre tente alors, entre colère et amour, de comprendre les raisons de ce geste, au fil d’un virulente adresse au disparu, comme pour remplir de son propre cri le vide laissé par celui qui déclamait dans les rues de Port-au-Prince les vers de Baudelaire, Eluard ou Pessoa, faute de croire aux poèmes que lui-même écrivait en secret et qu’il avait rassemblé sous le titre : « Parabole du failli ».

Un homme est tombé, qui n’avait pas trouvé sa place dans le monde d’intense désamour qui peut être le nôtre : dans l’abîme que crée sa disparition s’inscrit l’échec du suicidé mais aussi de celui qui reste, avec sa douleur et ses discours impuissants.

Qu’ajouter ?

Que Lyonel Trouillot, l’écorché-vif, rend ici un magnifique hommage aux humbles, aux petites gens (Ils avancent fièrement. Personne ne leur a enseigné l’art de demander la permission. Personne ne le leur a jamais accordée. Ils savent que, comme pour manger, boire, se trouver un coin pour dormir, s’ils attendent la permission, ils n’auront rien.), et à la poésie qui peut, parfois, réenchanter la vie. Il n’oublie pas pour autant, en corollaire, de distribuer quelques coups-de-pied aux c. des puissants et des hypocrites.

Mais qui était, au fond, Pedro le failli ? Un semeur de mots (dont) la zone de tendresse était trop grande et prenait toute la place. Tu as passé ta vie à attraper l’autre par la manche en lui disant : Arrêtez-vous que je vous offre quelque chose. Rien. Des mots, pour combler mes manques à moi. Et les vôtres.

Le narrateur remonte le temps de leur vie commune à trois, avec l’Estropié, dans ce quartier pauvre de la ville. Ils parlaient peu du passé. Jamais de l’avenir. Dans ce quartier, l’avenir n’existe pas.

Entre deux imprécations, quand il cesse de vociférer, Pedro offre aux passants les vers des poètes qu’il aime. Le quartier te réclamait, même la femme du camionneur qui nous traite toujours d’artistes, de bons à rien. (…) La pauvreté levait d’inutiles querelles entre les habitants. Quand les vraies cibles sont hors d’atteinte, on déverse sa colère sur ses proches et ses voisins. Tu ramenais le calme, et conscients de la vanité de leurs petites guerres, les belligérants renouaient les amitiés de la veille.

bicentenaire

Il y avait l’amitié. Et aussi l’amour, pour les femmes de leurs rêves, inaccessibles ou fantasmées. (Tu es la beauté même)

Un chant d’amour, qui se termine par la cérémonie à la mémoire du disparu, dans une fin en apothéose qu’il faut laisser au lecteur le plaisir de découvrir…
Tout aussi bon : Bicentenaire, publié par le même auteur en 2004, que je lis dans la foulée, et qui vient d’être republié en Babel (poche),

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Parabole du failli .Lyonel Trouillot. Actes sud.

Bicentenaire. Actes sud Babel.

 


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