Griffonnages

Blog de Michel Brouyaux

La Police de la pensée. Gérard Larnac

2747511537rPoète, philosophe et essayiste, Gérard Larnac publiait en 2001 cet essai aisément lisible et très stimulant.

Parmi les nombreuses idées qui y foisonnent, j’ai particulièrement aimé celles-ci :

– La démocratie a, beaucoup plus que la dictature, besoin de la propagande. Ceci parce que, quand la violence suffit aux dictatures pour imposer leurs décisions, les démocraties ont besoin de « la coopération active et enthousiaste » des citoyens pour fonctionner.

– Nous ne sommes plus à l’époque de la guerre froide; le temps n’est donc plus à la « propagande noire » (désinformation, intoxication), même si celle-ci n’a pas complètement disparu, mais à la « propagande blanche » : elle consiste à saturer les gens de messages souvent redondants, fréquemment stupides (voir la publicité omniprésente), mais aussi à dissimuler « ce qui ne doit être ni su, ni pensé ». On pourrait citer ici Manuel Castells : L’influence la plus déterminante que les médias exercent ne procède pas de ce qui est publié, mais de ce qui ne l’est pas (…) seul existe dans l’esprit du public ce qui existe à travers les médias. (Prenons l’exemple suivant, dont l’auteur ne pouvait parler en 2001, et pour cause : le 20 décembre 2013, des activistes de différentes obédiences – syndicalistes, écologistes, altermondialistes, agriculteurs, etc – manifestent à Bruxelles à l’occasion du Sommet européen. Ne pouvant passer l’événement sous silence, Le Soir ne le mentionne que sous l’angle … des difficultés de circulation et autres embouteillages ! Sur les raisons de la manifestation : silence. Il s’agissait pourtant de l’opposition au vote par l’Union européenne du Traité d’austérité, d’une part, et du Traité transatlantique, d’autre part, qui concernent – et comment ! – l’ensemble de la population. Le deuxième, par exemple, outre qu’il permettra de nous vendre des poulets javellisés ou du boeuf aux hormones, renforcera le pouvoir déjà colossal des multinationales, qui pourront attaquer en justice des états qui opposeraient à leurs activités le frein de leurs législations environnementale ou sociale.  Une pratique qui existe déjà : voir les condamnations de l’Allemagne ou de Prague (ici : http://cadtm.org/L-arbitrage-international-une), mais qui risque donc d’exploser. Mais la presse est là-dessus très discrète.)

– La télévision renforce évidemment l’uniformisation de l' »information » : avec elle, pour la première fois, tout le monde (ou presque) voit les mêmes images en même temps. Cette information de masse qui s’appuie essentiellement sur l’émotion et l’instantanéité, ne favorise ni la réflexion, ni l’esprit critique. La télé sert aux masses une actualité sans recul ni profondeur qui, en plus, renforce l’apartheid social, ceux qui la consomment le plus étant ceux qui sont le moins armés pour lui résister. C’est la fabrication du consensus, c’est-à-dire de la soumission et du renoncement.

Quant au contenu de son message – quand il y en a – c’est la glorification du mode de vie individualiste et consumériste : le citoyen n’existe plus, ne reste que le consommateur. L’organisation sociale idéale est la mondialisation néolibérale, qui n’apporte que le bonheur et qui n’a pas d’alternative. C’est la fin de l’Histoire proclamée par Fukuyama : ite, missa est !

– Mais la presse écrite n’est pas mieux lotie, qui s’autoproclame encore, sans rire, contre-pouvoir. alors qu’elle est, et de plus en plus, organiquement liée aux cercles dirigeants, dont elle défend consciencieusement les intérêts. La théorie de la fin (de l’Histoire) n’a d’autre objet que de saper les conditions du débat, d’éluder les alternatives, de censurer le possible. Or, les vrais problèmes et les vrais choix sont devant nous : partage des ressources ou spoliation délibérée des plus faibles par les plus forts, mondialisation ou diversité culturelle, manipulation génétique ou droits de l’homme, scientificité marchande ou progrès de l’esprit,…

– On observe, heureusement, la réémergence du discours critique : les crises financières, l’éclatement des bulles spéculatives, l’incapacité des grands organismes internationaux à anticiper, donnent naissance, parmi des populations de plus en plus instruites, à une nouvelle contestation de fond. L’auteur date de 1995 la fin de ce qu’on a appelé le silence des intellectuels et observe que le militantisme grégaire s’efface devant l’expertise et la mise en réseau des compétences. Le monstre globalitaire n’a pas encore gagné.

Espérons-le !


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