Griffonnages

Blog de Michel Brouyaux

Un gros mot !

trouille

Protectionnisme : voilà un mot qu’il est pratiquement devenu interdit de prononcer, que ce soit dans les débats télévisés, dans les dîners en ville ou dans les meetings. L’évoquer, c’est être aussitôt taxé de réactionnaire, d’archéo-nationaliste, voire pire.

François Ruffin a passé 10 ans à parcourir la France, à visiter des usines de robinets, de pistons, de lave-linge, de canapés, de yaourts. Dans « Leur grande trouille, journal intime de mes pulsions protectionnistes« , un livre qui se dévore comme un roman, il narre avec humour et ironie ses rencontres avec des patrons, des syndicalistes, des économistes, des douaniers, puis évoque l’hypothèse honnie : contre le libre-échange, qui a provoqué les dégâts et les fermetures d’entreprises que l’on sait, pourquoi ne pas rétablir barrières douanières, taxes aux frontières (sociales et environnementales) et quotas d’importations ?

L’intérêt du livre est aussi de montrer que ce qui n’est – ou ne devrait être – qu’une option économique parmi d’autres pour lutter contre le dumping engendré par la mondialisation sauvage est devenu, par la propagande omniprésente d’une petite élite hyper-médiatisée, un interdit moral. Si l’on veut être dans le camp du BIEN, si l’on se dit citoyen du monde, il faut être libre-échangiste. L’unanimité règne, de la droite libérale à la gauche (y-compris à la gauche « de gauche », qui confond bizarrement le « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »  et la libre concurrence des travailleurs entre eux, jouant ainsi le rôle d' »idiots utiles ».)

Les motivations des chantres du grand marché mondial sont pourtant assez claires. Morceaux choisis :

Page 72 : Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs  dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel  face aux importations des pays en voie de développement. (Business week, 9 août 1993)

Ou encore : Juste entre vous et moi, la Banque mondiale ne devrait-elle pas encourager  davantage la migration des industries sales vers les pays moins développés ? (…) La logique économique derrière le déchargement des déchets toxiques dans les pays aux salaires les plus bas est irréprochable et nous devons la regarder en face. (Banque mondiale, Bonnes pratiques environnementales (!), 12 décembre 1991)

Sans oublier que le tout-marché permet aussi de conquérir de plus larges parts du commerce mondial, quitte à ruiner certaines économies locales dans les pays en voie de développement.

Impossible de résumer un livre aussi riche en informations en tous genres. Ne pas rater, en tous cas, le passage sur le transport routier. Ou l’enquête sur la marine marchande (hallucinant !) Ou encore la rencontre avec les douaniers.

François Rufin conclut en précisant que le protectionnisme (qui n’est pas à confondre avec l’autarcie, voir l’échange avec Jacques Sapir) ne constitue pas une politique en soi, encore moins un idéal. C’est un moyen (…) qui pourrait rouvrir le champ des possibles. Persuadé qu’on y viendra tôt ou tard, il ajoute seulement : Mais portés par quelles forces ? Par le camp de la régression ou par celui du progrès ? Et portant quel projet ? Un conservatisme craintif ou des conquêtes écologiques et sociales ?

————————–

François Ruffin : LEUR GRANDE TROUILLE, chez Babel (Actes Sud) François Ruffin, reporter, est un des animateurs du site Fakir. (www.fakirpresse.info)

A lire aussi : Le Scandales des délocalisations, Eric Laurent, chez Plon.  L’Etat prédateur, James K Galbraith, au Seuil, où l’on découvre une pratique du libre-échange à géométrie très variable.


Categorised as: Non classé


3 Comments

  1. Gérard dit :

    Génial. Bienvenue dans le monde des blogeurs.

  2. Brouyaux dit :

    Mon cher frère
    je te félicite pour cette initiative qui permettra à beaucoup de partager tes commentaires et de s`en inspirer pour continuer à lire….à offrir des libres et à en recevoir . Lire …, une merveille… du bout du monde mais toujours aussi proche ta soeurette…

  3. Schepmans Daniel dit :

    Merci Michel, je viens de le commander, je crois que si on veut combattre la langue de bois libérale il n’y a pas beaucoup d’autre solution, il faut lire des livres et tenter de faire passer d’une manière ou d’une autre. Et donc, merci pour ce blog!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *