Un homme jetable. Aude Walker
On dit que chaque matin, quand ils vont à la centrale, ils risquent leur vie.
On dit que les normes de sécurité ne sont pas toujours respectées…
On dit aussi que ce sont des « hommes jetables », mais Jules se moque de tout ce qu’on peut bien dire. Il est trop content d’avoir quitté le foyer familial, maintenant qu’il fait le tour de France des centrales nucléaires, il gagne sa vie, il est libre. Et puis il a vingt ans, il n’a pas peur de mourir.
Moi, il n’y a que ça qui me plaît. Prendre des risques, sentir monter l’adrénaline, avoir un métier qui ne ressemble pas aux autres. (…) Je veux être une des stars des arrêts de tranche. Ceux qu’on admire et qu’on plaint dans un même élan. Ceux pour qui on a peur et qu’on remercie de faire le sale boulot à notre place. Ceux qui prennent des risques, des doses : ceux qui évoluent au plus près du coeur du réacteur.
Logeant de camping en camping, payé 1200 € pour un des métiers les plus dangereux du monde, Jules découvre cependant la solidarité, obtient l’estime de ses pairs et gagne peu à peu l’amitié de Fernand, le décontamineur expérimenté qui a l’âge d’être son père.
Ne manquez pas ce roman d’Aude Walker, nominé pour le Prix du roman social.
Impossible, cependant, de ne pas se poser la question : ça se passe vraiment comme ça ?
J’ai voulu en savoir plus. Et j’ai trouvé sur le net l’interview de Claude Dubout, auteur d’un livre-document Je suis décontamineur dans le nucléaire. A ne pas manquer non plus !
Claude Dubout évoque la fierté de ces travailleurs qui vont au front pour protéger d’autres travailleurs. Sur leurs feuilles de paie, ils sont des « agents d’intervention » : le métier de décontamineur n’existe pas, ceux qui l’exercent ne peuvent donc pas revendiquer, d’autant plus qu’ils travaillent en sous-traitance, avec des statuts précarisés (CDD, etc)
Les machines pour faire ce travail existent, mais sont trop coûteuses. Et, même s’il affirme que c’est une industrie très sûre, il constate que le risque augmente, les actionnaires étant de plus en plus gourmands. Par exemple, avant, on remplaçait les pièces défectueuses, maintenant on les répare.
Toujours anxieux de dépasser la dose de radiation autorisée, les décontamineurs apprécieraient une reconnaissance sociale qui tarde à venir, puisqu’ils sont invisibles.
Un grand merci à Joseph Thonon qui m’a procuré Un homme jetable.
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Un homme jetable, d’Aude Walker. Editions du Moteur.
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Pour plus plus d’informations voir aussi grand central un film de Rebecca Zlotowski, pour lequel claude dubout etait conseiller technique.
Je termine la lecture de ce livre qui me confirme que – comme le disait Pierre Lemaître peu après avoir reçu le Goncourt – la grande force du roman ce n’est pas d’expliquer les choses, c’est de les faire vivre en suscitant l’émotion. Le livre de Dubout a les mérites d’un témoignage direct mais ce gros volume n’a pas la force du « petit » roman de Aude Walker. Ces travailleurs sont aussi évoqués dans le documentaire de Alain de Halleux : RAS. Un autre créateur, le japonais Sion Sono, compare documentaire et fiction: « Certains diront peut être que mon film relève du déjà vu. Qu’ils ont déjà vu tout ça à la télévision et dans les journaux. Mais cela relève de la « connaissance » qu’il ne faut pas confondre avec la « sensation ». J’ai voulu que ceux qui n’étaient pas à Fukushima ce jour-là « vivent » la catastrophe à travers les personnages ».
Et tout cela me renforce dans l’idée que je développe à loisir dans « Dompter le dragon nucléaire ? » (http://dragon-nucleaire.e-monsite.com): les images qui accompagnent romans et films sur ce sujet sont plus fortes que toute documentation scientifique et technique.
Bien amicalment …