Griffonnages

Blog de Michel Brouyaux

Le dernier ami de Jaurès. Tania Sollogoub

dernier-ami-jaures-1426319-616x01J’ai adoré Le dernier ami de Jaurèsde Tania Sollogoub, qui vient de paraître à l’Ecole des loisirs.

Il s’appelle Jean Jaurès. Ses écrits, ses prises de position, son désir profond de changer le monde l’ont mis en danger d’être assassiné. Le peuple de Paris a juré de le protéger. Ils sont jeunes ou vieux, ils s’appellent Suzanne, Lucien, Mallavec, Paul. En cette fin du mois de juillet 1914, ce peuple-là ne veut pas de la guerre, et personne n’y croit vraiment. Paul a 15 ans, et son esprit est dévoré par l’amour fou qu’il éprouve pour Madeleine, une jeune fille de la bourgeoisie à qui il n’est pas censé adresser la parole. Ce soir-là, rue de la Tour, en gravissant les marches qui mènent à la chambre de Jaurès, Paul ignore que cet homme va non seulement lui accorder sa confiance, mais devenir le confident de son secret et lui donner la force de changer son destin.

Un fort beau roman destiné aux ados, que j’ai (donc…) lu avec le plus grand intérêt. Le cadre historique s’inspire largement, nous dit l’auteur, de « Juillet 1914 », d’Emil Ludwig (livre longtemps interdit et tout aussi recommandable : merci, Gérard !)

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Retour dans les Andes

Leon Tillieux Andes 2013 BNous assistions jeudi soir, Véronique et moi, à la projection du film Retour dans les Andes, de l’ami Léon Tillieux, ce jeune homme de 65 ans qui va toujours au bout de ses rêves.

Son film nous décrit ses derniers exploits : 3000 kilomètres à vélo à travers la Cordillère des Andes, en solo et par tous les temps. Certains cols ne permettent d’avancer que de 25 kilomètres par jour; après quoi il monte la tente et y réchauffe, à l’abri de la pluie, son spaghetti lyophilisé ! Des mois d’effort et de ténacité pour découvrir des paysages époustouflants et prendre le temps de rencontrer vraiment les gens. Pas grand-chose à voir avec le Club Med…

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PALESTINE, la trahison européenne

trahisonCe livre est passionnant, notamment parce que, en tant que députée européenne, Véronique De Keyser a été à la tête de la « mission européenne d’observation » lors des élections palestiniennes de 2006. Elle a rencontré … tout le monde, de Jimmy Carter à Mahmoud Abbas, de Michel Rocard à Dov Viceglass et Javier Solana…Depuis 20 ans, depuis les Accords d’Oslo, la situation des Palestiniens n’a fait qu’empirer. Implacable progression du Mur, cloisonnement des zones palestiniennes séparées les unes des autres à l’intérieur même de la Cisjordanie pour permettre aux colonies israéliennes de s’y développer, isolement de Jérusalem-est, menacent aujourd’hui jusqu’à la rendre impossible la solution à deux Etats. On peut bien évidemment, nous affirme la députée européenne, s’appesantir sur la responsabilité d’Israël. Ce n’est pas la propos de ce livre. Israël n’aurait rien pu faire sans le soutien ou à tout le moins l’accord implicite de ses indéfectibles partenaires, c’est-à-dire les Etats-Unis et l’Europe. Et l’angle d’attaque de ce livre, c’est bien le rôle de l’Europe en la matière. On peut, avec l’auteur, le qualifier d’accablant : la politique européenne consiste essentiellement à s’aligner sur les positions américaines tout en s’efforçant d’en atténuer les effets trop pénibles pour les Palestiniens. 65 ans après la fondation de l’Etat d’Israël, la dissymétrie est hallucinante. L’écran de fumée d’une politique soit disant équidistante vis-à-vis des deux parties a abouti à une population palestinienne exsangue, privée de toute mobilité, sous une occupation dure et à qui on promet le temps venu un Etat comme à d’autres on promettrait le ciel. Read the rest of this entry »


Parabolle du failli. Lyonel Trouillot.

parabole_du_failliJ’ai déjà exprimé ailleurs d’admiration que j ‘éprouve devant les quatrièmes de couverture d’Actes sud, qui me laissent souvent comme un potache devant la page blanche. Celle du dernier roman de Lyonel Trouillot n’échappe pas à la règle. Qu’on en juge :

Alors qu’il semble enfin devoir connaître le succès, Pedro, un jeune comédien haïtien en tournée à l’étranger, se jette du douzième étage d’un immeuble. Dans son pays natal, l’un des deux amis avec qui il partageait au hasard des nuits un modeste appartement aux allures de bateau-ivre tente alors, entre colère et amour, de comprendre les raisons de ce geste, au fil d’un virulente adresse au disparu, comme pour remplir de son propre cri le vide laissé par celui qui déclamait dans les rues de Port-au-Prince les vers de Baudelaire, Eluard ou Pessoa, faute de croire aux poèmes que lui-même écrivait en secret et qu’il avait rassemblé sous le titre : « Parabole du failli ».

Un homme est tombé, qui n’avait pas trouvé sa place dans le monde d’intense désamour qui peut être le nôtre : dans l’abîme que crée sa disparition s’inscrit l’échec du suicidé mais aussi de celui qui reste, avec sa douleur et ses discours impuissants. Read the rest of this entry »


L’échec humanitaire, le cas haïtien. Frédéric Thomas

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Le lien est vite fait entre les romans de Lyonel Trouillot et « L’échec humanitaire », publié par Frédéric Thomas chez cet excellent éditeur belge, Couleur livres.

Le 12 janvier 2010, Haïti était ravagé par un tremblement de terre qui faisait plus de 200.000 morts et un million et demi de sans-abris. Tout-de-suite, les organisations humanitaires s’étaient mobilisées. Trois ans plus tard, Frédéric Thomas s’attelle au bilan de leur action.

Voici quelques années (en 2008), l’excellent livre de Christophe Charbon, Souvenir d’un tsunami humanitaire, aux éditions L’Harmattan, envisageait ce bilan à partir de son expérience d’humanitaire vécue en Thaïlande lors du tsunami. Sa réflexion sur la gestion généralement calamiteuse des catastrophes l’amenait à juger l’action des très (trop?) nombreuses organisations humanitaires dispendieuse, déstructurante pour les pouvoirs locaux et « la plus chaotique de tous les temps ».

Frédéric Thomas partage cette analyse sur le gaspillage, et aussi sur la confusion entre efficacité et visibilité (chaque organisation s’efforçant d’être au bon endroit au bon moment, pour passer au JT, etc) Read the rest of this entry »


Toussaint Louverture

toussaint_louvertureToussaint Louverture. de Aimé Césaire

Toussaint Louverture. de Madison Smart Bell.

 

Les lecteurs qui voudraient « aller plus loin » dans l’histoire de Haïti (merci à Frédéric Thomas de m’en avoir donné l’envie) liront avec profit ces deux biographies de celui qu’on appelle là-bas le précurseur.

A Haïti, « possession française », les esclaves importés d’Afrique qui travaillent dans les plantations sont traités comme du bétail et même pire, puisqu’ils endurent souvent, à la moindre incartade,punitions, sévices physiques et exécutions sommaires.

En 1789  leur parvient l’écho de la Révolution française, qui proclame la liberté, l’égalité et la fraternité. Ils décident de prendre cela au sérieux. A leur tête, un esclave affranchi, Toussaint Louverture, qui se révèlera d’abord un brillant politique, puis un remarquable chef de guerre.

toussaint_louverture_2Dans une première phase, les esclaves recherchent l’appui de l’Assemblée nationale française à Paris. Celle-ci est divisée : les Droits de l’Homme, d’accord ; mais à des Noirs ? Read the rest of this entry »


Un géant, des Lilliputiens

Bipède volupteur de lyreleoferre

Epoux châtré de Polymnie

Vérolé de lune à confire

Grand-Duc bouillon des librairies

Maroufle à pendre à l’hexamètre

Voyou décliné chez les Grecs

Albatros à chaîne et à guêtres

Cigale qui claque du bec

Poète, vos papiers !

Voici vingt ans, Léo Ferré nous quittait.  Deux décennies plus tôt, il enchantait, de la voix et du verbe, les saute-ruisseaux que nous étions, qui raclions nos fonds de tiroir pour aller l’écouter partout : à Leuven (mais oui), au 140, aux Beaux-Arts, au Jeanson, nous n’en rations pas une.

Souvenirs…

Avec le temps, La vie d’artiste, L’île Saint-Louis, Mister Giogino, Quartier latin, Paname, Merde à Vauban, Jolie môme, Ni dieu ni maître, Comme à Ostende… C’était extra !

Et aussi, bien sûr, la mise en chansons des poèmes d’Aragon. (A propos des résistants du groupe Manouchian, ces inoubliables alexandrins :

Vous n’aviez réclamé la gloire ni les larmes, Ni l’orgue ni la prière aux agonisants (…) Vous vous étiez servi simplement de vos armes, La mort n’éblouit pas les yeux des partisans.)

Le grand Léo est parti un 14 juillet (!)

Car la musique, foutu métier

ça chante, ça gueule, ça fait rêver,

Et ça s’envole comme les paroles

Comme les paroles…

Salut, Léo ! Comme le chante Renaud, J’espère seul’ment qu’là-haut, Ya un peu moins d’salauds…

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Les Lilliputiens qui gouvernent en Europe, continuent à lécher les bottes des Américains, quitte à violer le droit international.evomorales

Premier épisode : les dirigeants européens découvrent que les Etats-Unis les espionnent, jusque dans les suites des chefs d’état lors des G8 et autres « rencontres amicales ». Très fâchés, qu’ils sont, les Européens !  Comme ils sont redevables de cette révélation à Edward Snowden, qui a rendu publics des documents évidemment secrets et qui, de ce fait, risque de très gros ennuis, vous vous dites : ils vont remercier Snowden, par exemple en lui accordant l’asile politique. Vous n’y êtes pas du tout. C’est hors de question.

Deuxième épisode, encore mieux. Pensant à tort que (peut-être) Snowden avait pris place à bord de l’avion du président bolivien Evo Morales (le bolivien Morales, comme l’écrit si élégamment Le Soir), quatre pays européens interdisent à son avion le survol de leurs espaces aériens, ce qui aboutit à ce que Evo Morales soit littéralement séquestré pendant 13 heures sur le tarmac de l’aéroport de Vienne. Un avion pourtant protégé par une immunité due à tout chef d’état. Il a donc suffi que la CIA fasse le gros doigt pour que la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal s’écrasent.

Forts avec les faibles, faibles avec les forts.

Nous sommes dirigés, comme dirait Sébastien Lapaque, par des ours savants qui gouvernent en tremblant sous les coups de fouet des gardiens de zoo néolibéraux.

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Pour garder l’espoir, lisez Le nouveau gouvernement du monde, de Georges Corm,  paru en « poche » à La Découverte.

Bonnes vacances !


Un homme jetable. Aude Walker

hommejetable

On dit que chaque matin, quand ils vont à la centrale, ils risquent leur vie.

On dit que les normes de sécurité ne sont pas toujours respectées…

On dit aussi que ce sont des « hommes jetables », mais Jules se moque de tout ce qu’on peut bien dire. Il est trop content d’avoir quitté le foyer familial, maintenant qu’il fait le tour de France des centrales nucléaires, il gagne sa vie, il est libre. Et puis il a vingt ans, il n’a pas peur de mourir.

Moi, il n’y a que ça qui me plaît. Prendre des risques, sentir monter l’adrénaline, avoir un métier qui ne ressemble pas aux autres. (…) Je veux être une des stars des arrêts de tranche. Ceux qu’on admire et qu’on plaint dans un même élan. Ceux pour qui on a peur et qu’on remercie de faire le sale boulot à notre place. Ceux qui prennent des risques, des doses : ceux qui évoluent au plus près du coeur du réacteur.

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Psaumes balbutiés. Erwin Mortier

psaumes_balbuties

Cela a-t-il commencé par le mot livre, le mot qui ne lui revient pas ? (Elle donne un coup de coude à mon père : Dis-le, toi, tu le sais). Ou par l’affaire du dentifrice, qu’elle avait utilisé comme crème pour le visage ?

Mais quand commence une telle chose ? Quels signes sont les premiers ?
D’une écriture superbe, pleine de poésie, dans une série de séquences qui sont autant de tableaux, Erwin Mortier nous décrit, dans ce livre superbement sous-titré Livre d’heures de ma mère, le combat sans issue, la lutte acharnée, perdue d’avance, que mène sa mère contre la dégénérescence. Le cerveau ravagé par la maladie d’Alzheimer, elle est encore là, tout en n’y étant pas.

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Les intellectuels intègres. Pascal Boniface

Les intellectuels integres

Après avoir, voici quelque temps, démasqué impitoyablement quelques imposteurs (Les Intellectuels faussaires, pamphlet féroce et salutaire paru chez le même éditeur et disponible aujourd’hui en Pocket), Pascal Boniface s’intéresse, dans Les Intellectuels intègres, aux parcours très divers de quinze personnalités qui font, elles, l’honneur de leur corporation. Précédés d’une courte introduction biographique, ces entretiens nous introduisent, dans une langue accessible à tous, à la pensée (et à l’action) de chacun(e) d’entre eux (elles) et aux problématiques qui leur sont chères. De Stéphane Hessel à Olivier Mongin, de Rony Brauman à Esther Benbassa, de Tzvetan Todorov à Emmanuel Todd… Read the rest of this entry »